C’était l'(une) des inventions qui devaient révolutionner le monde. Et pourtant, les Google Glass sont un semi-échec : début janvier 2015, via un billet officiel diffusé sur Google Plus, la firme californienne a annoncé la suspension du programme.
Trop chères, (1.500 dollars), parfois mal acceptées par le public, qui pouvait agresser ceux qui en portaient, et visiblement plus utiles en usage pro qu’en usage personnel, elles n’ont pour l’instant pas convaincu. Google était jusqu’ici resté discret sur les raisons de cet échec. Mais, lors de la conférence South by Southwest, le 17 mars dernier, le patron du laboratoire Google X, Astro Teller, est revenu pour la première fois sur ce flop. Pour lui, comme le rapporte Le Monde, « commencer à distribuer un prototype assez rapidement était une bonne idée « , mais « la mauvaise idée était d’avoir trop attiré l’attention sur les Google Glass ».
Pas d’excuses
Il a en revanche refusé de « présenter des excuses »: « J’ai été très surpris de voir à quel point les gens sont sensibles à ces questions. Lorsque quelqu’un portant des Google Glass rentrait dans un bar, cela déclenchait parfois des réactions très fortes, alors même qu’il y avait des smartphones et des caméras de surveillance partout dans le bar. Je ne pense pas qu’on se soit penché sur le cœur du débat, les Google Glass n’étaient qu’un appareil photo de plus dans la vie des gens. »
En fait, ce constat à lui seul pouvait expliquer l’échec en question. Si les scènes durant lesquelles les clients d’un bar ou d’un restaurant pouvaient s’en prendre physiquement aux porteurs de Google Glass, ce n’était pas seulement sous l’effet de l’alcool ou de la frustration. Mais pour deux raisons essentielles. La première, c’est que Google commence à symboliser en Californie, et particulièrement près de Mountain View, l' »entreprise arrogante » du XXIème siècle techno: témoin ces manifestations contre la hausse des loyers dans la région, due au fort pouvoir d’achat de ses salariés, qui fait monter les prix.
Manifestations contre Google
Témoin aussi l’émotion des Californiens, quand ils ont constaté que les luxueux bus blancs chargés d’amener les salariés de Google sur leur lieu de travail utilisaient le système des arrêts de bus municipaux, sans payer la taxe que l’entreprise devait verser pour cela à la municipalité. Une parabole parfaite du « système Google », où une superstructure moderne et luxueuse (les logiciels Google, ou les bus) utilise une infrastructure collective quasiment sans bourse délier (les réseaux télécoms, ou le système municipal des arrêts de bus).
Ce qui a, là aussi, entraîné des manifestations contre Google à San Francisco. Deuxième raison, la plus importante sans doute, celle qui explique les altercations dans les bars et les restaurants. Le porteur de « Google Glass » apparaît, en effet, face à celui qui en est dépourvu, comme un humanoïde doté d’une insupportable supériorité technique: la capacité de pouvoir filmer, photographier ou même analyser celui qui, face à lui, en est dépourvu.
La police de Dubai équipée de Google Glass
A cela, on l’a vu, Astro Teller rétorque qu' »il y avait des smartphones et des caméras de surveillance partout dans le bar », et que cela n’entraînait aucune réaction négative. Certes, mais, d’une part, photographier quelqu’un sans son accord est de toute façon souvent perçu comme une agression, et les caméras de surveillance sont des objets inertes, dont l’utilisateur n’est pas physiquement présent, et qui sont généralement acceptés car elles sont censées améliorer la sécurité.
Porter des « Google Glass » et pouvoir filmer, photographier ou « scanner » tout le monde crée une « civilité asymétrique » et entraîne une insupportable tension: personne n’a envie de se retrouver face à quelqu’un dont le « regard augmenté » semble pouvoir capturer son image, son visage, sa silhouette -et, pourquoi pas, son profil sur les réseaux sociaux.
Ainsi, un développeur français avait inventé une application qui permettait au porteur des « Glass » de consulter en direct, pendant une conversation en face à face, le profil social de son interlocuteur sur les réseaux sociaux, grâce à la reconnaissance faciale. Quel bonheur, de sentir qu’on est « scanné live » par la personne qui vous fait face, et qui vous prive du plaisir de vous dire elle même quels sont ses films, ses romans ou ses restaurants préférés! Une utilité bien comprise par la police de Dubaï, qui utilise la caméra des Google Glass pour analyser le visage des passants!
Bref, si Google avait voulu inventer un produit qui permet à tous ceux qui sont aisés et technophiles de montrer, tel le X-Man « Cyclope », leur supériorité aux « manants » dépourvus de cet engin, il ne pouvait trouver gadget plus indiqué que les « Google Glass »